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Roman
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Ce mois-ci, nous vous présentons Le Roman de l'avenir par Eugène Bonnemère. Paru en 1867, chez l'éditeur Librairie internationale, ce livre a été écrit sous inspiration. Son auteur Eugène Bonnemère nous explique comment il a découvert l'ensemble des manuscrits qui ont composé le recueil.

L'auteur admet la pluralité des existences, non seulement comme rationnelle, conforme à la justice de Dieu, mais comme nécessaire, indispensable à la progression de l'âme.

 Eugène Bonnemère

Voici un ouvrage qui n'a du roman que le nom, car l'intrigue y est à peu près nulle, et n'est qu'un cadre pour développer sous forme d'entretiens les plus hautes pensées de la philosophie morale, sociale et religieuse. Le titre de Roman de l'avenir ne paraît lui avoir été donné que par allusion aux idées qui régiront la société dans l'avenir, et qui ne sont pour l'instant qu'à l'état de roman. Le Spiritisme n'y est pas nommé, mais il peut d'autant mieux en revendiquer les idées, que la plupart semblent puisées textuellement dans la doctrine, et que s'il en est quelques-unes qui s'en écartent un peu, elles sont en petit nombre et ne touchent pas au fond de la question.
L'auteur admet la pluralité des existences, non seulement comme rationnelle, conforme à la justice de Dieu, mais comme nécessaire, indispensable à la progression de l'âme, et acquise à la saine philosophie ; mais l'auteur paraît pencher à croire, quoiqu'il ne le dise pas nettement, que la succession des existences s'accomplit plutôt de monde en monde que dans le même milieu, car il ne parle pas d'une manière explicite des existences multiples sur un même monde, bien que cette idée puisse être sous-entendue. C'est peut-être là un des points les plus divergents, mais qui, du reste, ne préjudicie nullement au fond, puisqu'en définitive le principe serait le même.

C’est dans la préface que l’on trouve l’origine de ce livre. Laissons parler l’auteur :
- Quelle est ma collaboration dans le Roman de l'avenir ? Sommes-nous deux, ou trois, ou bien l'auteur ne s'appelle-t-il pas légion ? Je laisse ces choses à l'appréciation du lecteur, après que je lui aurai raconté une aventure très véridique, bien qu'elle ait toutes les apparences d'une histoire de l'autre monde.
S'étant un jour arrêté dans un modeste village de la Bretagne, la maîtresse de l'auberge me raconta qu'il y avait dans le pays un jeune homme qui faisait des choses extraordinaires, de vrais miracles.
- Sans avoir rien appris, dit-elle, il en sait plus long que le recteur, le médecin et le notaire ensemble, et que tous les sorciers réunis. Il s'enferme tous les matins dans sa chambre ; on voit sa lampe à travers ses rideaux, car il lui faut sa lampe, même quand il fait jour, et alors il écrit des choses que jamais personne n'a vues, mais qui sont superbes. Il vous annonce dès six mois à l'avance, le jour, l'heure, la minute où il tombera dans ses grands accès de sorcellerie. Une fois qu'il l'a dit ou écrit, il n'en sait plus rien, mais c'est vrai comme parole d'Evangile, et infaillible comme décision du pape, à Rome. Il guérit du premier coup, et sans se faire payer, ceux qui lui sont sympathiques, et à la barbe du médecin, les malades que celui-ci ne guérit pas pour leur argent. M. le recteur dit que ce ne peut être que le diable qui lui donne le pouvoir de guérir ceux à qui le bon Dieu envoie des maladies pour leur bien, afin de les éprouver ou de les châtier. 
Je fus le voir et ma bonne étoile voulut que je lui fusse sympathique. C'était un jeune homme de vingt-cinq ans, auquel son père, riche paysan du canton, avait fait donner une certaine éducation, quoi qu'en ait dit mon hôtesse ; simple, mélancolique et rêveur, poussant la bonté jusqu'à l'excellence, et doué d'un tempérament chez lequel le système nerveux dominait sans contrepoids. Il se levait à l'aube, en proie à une fièvre d'inspiration qu'il ne pouvait maîtriser, et répandait à flots sur le papier les idées étranges qui germaient d'elles-mêmes, à son insu et souvent malgré lui, dans son cerveau.
Je le vis à l'œuvre. Dans l'espace d'une heure, il couvrait invariablement son cahier de quinze ou seize pages d'écriture, sans hésitation, sans ratures, sans s'arrêter une seconde à chercher une idée, une phrase, un mot. C'était un robinet ouvert, d'où l'inspiration s'écoulait en jet toujours égal. Absolument muet pendant ces heures de travail acharné, les dents serrées et les lèvres contractées, la parole lui revenait à l'instant où la pendule sonnait la reprise des travaux champêtres. Il rentrait alors dans la vie de tout le monde, et tout ce qu'il venait de penser ou d'écrire pendant ces deux ou trois heures d'une autre existence s'effaçait peu à peu de sa mémoire, comme le rêve qui s'évanouit et disparaît à mesure que l'on s'éveille. Le lendemain, chassé de sa couche par une force invincible, il se remettait à l'ouvrage et continuait la phrase ou le mot commencé le jour précédent.
Il m'ouvrit une armoire dans laquelle s'accumulaient des cahiers chargés ainsi de son écriture. – Qu'y a-t-il dans tout cela ? Lui demandai-je.
– Je l'ignore autant que vous, me répondit-il en souriant.
– Mais comment tout cela vous vient-il ?
– Je ne puis que vous renouveler la même réponse : je l'ignore autant que vous. Parfois je sens que c'est en moi ; d'autres fois j'entends qu'on me le dit. Alors, sans en avoir conscience et sans entendre le bruit de mes propres paroles, je le répète à ceux qui m'entourent ou bien je l'écris.
Cela constituait dix-sept mille pages environ, écrites en quatre années. Il s'y trouvait une centaine de nouvelles et de romans, des traités sur divers sujets, des recettes médicales et autres, des maximes, etc.
Le jeune homme rajoute :
- Ces choses me sont révélées, à moi simple d'esprit et d'instruction, parce que, n'en sachant rien, n'ayant pas à leur égard d'idées préconçues, je suis plus apte à m'assimiler les idées des autres. Les êtres supérieurs, partis les premiers, épurés encore par la transformation, viennent m'envelopper et me dire : on vous donne tout ce qui ne s'apprend pas et qui peut éclairer le monde où nous avons en partant laissé notre empreinte ineffaçable. Mais il faut réserver sa part au travail personnel, sans empiéter sur la science acquise, ni sur le labeur que chacun peut et doit faire. 

De cet immense fouillis, M. Bonnemère a tiré cette étude qui a pour titre le Roman de l’Avenir. Il a pour base une simple idylle dont voici la donnée principale.

Paul de Villeblanche habitait en Normandie, avec son père, les restes d'un vieux château, jadis demeure seigneuriale de sa famille, ruinée et dispersée par la révolution. C'était un jeune homme d'une vingtaine d'années, d'une haute intelligence, aux idées les plus larges et les plus avancées, et qui avait mis de côté tous les préjugés de race.
Dans le même canton, vivait une vieille marquise très dévote, qui, pour racheter ses péchés et sauver son âme, avait imaginé de tirer de la misère et de la fange sociale une petite bohémienne pour en faire une religieuse, de cette manière, pensait-elle, elle serait assurée d'avoir quelqu'un qui, par reconnaissance et par devoir, prierait sans cesse pour elle, pendant sa vie et après sa mort. Cette jeune fille était donc élevée au couvent depuis environ huit ans, et en attendant qu'elle prît le voile, elle venait tous les deux ans passer six semaines chez sa bienfaitrice. Mais cette jeune fille, d'une rare intelligence, avait intuitivement sur bien des choses des idées à la hauteur de celles de Paul. Elle avait alors seize ans. Dans une de ses vacances, les deux jeunes gens se rencontrent, se lient d'une affection toute fraternelle, et ont ensemble des entretiens où Paul développe à son intelligente compagne des principes philosophiques nouveaux pour elle, mais que celle-ci comprend sans effort et devance même souvent. Ces deux âmes d'élite sont à la hauteur l'une de l'autre.
Le roman finit par un mariage, comme de raison, mais là encore ce n'est qu'un prétexte pour donner une leçon pratique sur un des points les plus importants de l'ordre social et les préjugés de castes. Ce sont ces entretiens qui font le sujet principal du livre ; le reste n'est qu'un cadre très simple pour l'exposition des idées qui doivent un jour prévaloir dans la société.

Nous citerons quelques extraits

- Trouver, dit Paul, c'est la récompense d'avoir cherché et tout ce que nous pouvons faire nous-mêmes, il ne faut pas le demander aux autres. Le monde est un vaste chantier dans lequel Dieu distribue à chacun sa besogne, nous dispensant notre tâche suivant nos forces. De cet immense frottement d'intelligences diverses, opposées, hostiles en apparence, la lumière jaillit, sans qu'elle s'éteigne à l'heure de notre dernier sommeil. Au contraire, la marche constante des générations qui se succèdent apporte une nouvelle pierre à l'édifice social ; la lumière devient plus brillante lorsqu'un enfant naît en apportant, pour continuer le progrès, le premier élément d'une intelligence toujours renouvelée.
- Mais la marquise me répète sans cesse, dit la jeune fille, que nous naissons tous mauvais, que nous ne différons que par le plus ou le moins de propension vers le péché, et que l'existence tout entière est une lutte contre nos penchants, qui tous tendraient à l'éternelle damnation, si la religion qu'elle m'enseigne ne nous retenait sur le bord de l'abîme.
– Ne crois pas ces blasphémateurs. Dieu serait l'agent du mal, s'il n'avait pas placé en chacun de nous la boussole qui doit guider nos pas vers l'accomplissement de nos destinées, et si l'homme n'avait pu marcher dans sa voie jusqu'au jour où l'Église est venue corriger l'œuvre imparfaite et mal réussie de l'Éternel. Qui sait si, dans l'immense rotation du monde, nos fils ne deviendront pas nos pères à leur tour, et s'ils ne nous restitueront pas intacte cette somme de misères que nous leur aurons laissées en partant ? Aucun mal ne peut venir de Dieu, dans le temps ni dans l'éternité. La douleur est notre œuvre, c'est la protestation de la nature pour nous indiquer que nous ne sommes plus dans les voies qu'elle assigne à l'activité humaine. Elle devient un moyen de salut, car c'est son excès même qui nous pousse en avant, incite notre paresseuse imagination, et nous fait faire les grandes découvertes qui ajoutent au bien-être de ceux qui doivent passer sur ce globe après nous. Chacun de nous est un des anneaux de cette chaîne sublime et mystérieuse qui relie tous les hommes entre eux, comme aussi avec la création tout entière, et qui, jamais ni nulle part, ne saurait être brisés. Après la mort, les organes usés ont besoin de repos, et le corps rend à la terre les éléments dont se constituent à l'infini les êtres qui se succèdent. Mais la vie renaît de la mort. Nous partons, emportant avec nous le souvenir des connaissances acquises ici-bas ; le monde où nous irons nous donnera les siennes, et nous les grouperons toutes en faisceau pour en former le progrès.
- Pourtant, hasarda la jeune fille, il y aura un terme, une inévitable fin, si éloignée que tu la supposes.
- Pourquoi limiter l'éternité, après l'avoir admise en principe ? Ce qu'on appelle la fin du monde n'est qu'une figure. Il n'y a jamais eu de commencement, il n'y aura jamais de fin du monde ; tout vit, tout respire, tout est peuplé. Pour que le jugement dernier pût arriver, il faudrait un cataclysme général qui fît rentrer l'univers tout entier dans le néant. Dieu qui a tout créé ne peut détruire son œuvre. A quoi bon l'anéantissement de la vie ? La mort, sans doute est inévitable. Mais mieux comprise dans l'avenir, cette mort qui nous épouvante ne sera plus que l'heure prévue, attendue peut-être du départ, pour fournir une nouvelle étape. L'un arrive, l'autre se met en route, et l'espérance essuie des pleurs qui coulent à l'instant des adieux. L'immensité, l'infini, l'éternité prolongent à nos regards avides leurs perspectives, dont l'inconnu nous attire. Plus perfectionnés déjà, nous ferons un plus beau voyage, puis nous repartirons encore, et nous marcherons toujours pour nous élever sans cesse. Car il dépend de nous que la mort soit la récompense du devoir accompli, ou le châtiment, quand l'œuvre commandée n'aura pas été faite. En quelque lieu que nous soyons de l'univers, nous nous tenons par des liens mystérieux et sacrés qui nous rendent solidaires les uns des autres, et nous récolterons fatalement la moisson de bien et de mal que chacun de nous a semée derrière soi avant de partir pour le grand voyage. L'enfant qui naît apporte son germe de progrès ; l'homme qui meurt laisse sa place pour qu'après lui le progrès s'accomplisse, et qu'il aille continuer d'y travailler lui-même, en apportant ailleurs, et chez un autre être, son âme perfectionnée. Ceux à qui tu dois le jour ont expié dans cette vie les fautes d'un passé mystérieux. Ils ont souffert, mais souffert courageusement. Le Dieu d'amour et de miséricorde avait besoin d'eux, sans doute, pour une mission plus importante dans un autre monde. Il les a appelés à lui, leur accordant ainsi le salaire mérité avant que la journée fût finie tout entière. 

Plus loin dans l’ouvrage, une discussion se fait à propos d'une jeune fille qui, encore enfant, opérait des guérisons surprenantes en indiquant les remèdes par intuition.

Cela fit du bruit, et la principale autorité, le curé, s'émut et intervint. Une enfant faisait, par des moyens naturels, ce que ni le médecin avec sa science, ni lui avec ses prières ne pouvaient obtenir !… Évidemment elle était possédée. Pour les hommes de petite foi et d'intelligence obtuse, c'est Dieu qui, dans le but de nous châtier, comme s'il n'avait pas l'éternité devant lui, ou de nous éprouver, comme s'il ne savait pas ce que nous allons faire, nous envoie tous les maux, les fléaux de tout genre, les ruines, la perte de ceux qui nous sont chers ; c'est Satan, au contraire, qui donne la prospérité, fait trouver les trésors, guérit les maladies, et nous prodigue tous les bonheurs, toutes les joies de ce monde. Dieu enfin, suivant eux, fait le mal, tandis que le diable est l'auteur de tout le bien. Marie fut donc exorcisée, rebaptisée à tout hasard, afin qu'elle ne pût plus soulager ses semblables. Mais rien n'y fit, et elle continua à faire du bien autour d'elle.
- Mais toi qui sais tout, Paul, que dis-tu de tout cela ?
- Si je ne crois jamais ce que ma raison repousse, répondit le jeune comte, je ne nie pas les faits attestés par de nombreux témoins, par ce seul motif que la science ne sait pas encore les expliquer. Dieu a donné aux animaux l'instinct d'aller droit vers la plante qui peut guérir les rares maladies qui les atteignent ; pourquoi nous aurait-il refusé ce précieux privilège ? Mais l'homme est sorti des voies que le Créateur lui avait assignées ; il s'est mis en hostilité avec la nature dont il a cessé d'écouter les avertissements. Ce flambeau s'est éteint en lui, et la science est venue remplacer l'instinct que, dans sa fierté de parvenue, elle a nié, combattu, persécuté, anéanti autant qu'il est en elle de le faire. Mais qui peut affirmer qu'il ne survit pas chez quelques êtres simples et primitifs, décidés à s'éclairer docilement de toutes les lueurs qu'ils entrevoient eux-mêmes, animés qu'ils sont du désir de venir en aide aux souffrances d'autrui ? Qui sait si Marie ayant déjà vécu jadis parmi ces peuplades en enfance chez lesquelles l'instinct survit encore et qui savent de merveilleux secrets, ou bien dans quelque monde plus avancé d'où ses fautes l'ont fait déchoir, Dieu ne lui accorde pas de se ressouvenir des choses que les autres ont oubliées ? N'est-il pas, pour chacun de nous, certaines connaissances que nous semblons retrouver en nous-mêmes, tant l'étude nous en est facile, tandis que d'autres ne peuvent pénétrer dans notre esprit, sans doute parce qu'elles viennent le frapper pour la première fois, ou parce que plusieurs générations ont accumulé sur elles des montagnes d'ignorance et d'oubli ? 

A propos des visions dans les rêves

- C'est l'âme demeurée dans son exil qui cause avec l'âme dégagée de sa partie terrestre ; aussi ces visions sont éclairées par un rayon lumineux qui laisse entrevoir aux pauvres humains combien est resplendissant le point où sont arrivés ceux qui surent diriger leur esquif sur les océans périlleux où flotte l'existence. Sans doute, dans des mondes différents, nos corps se constituent d'éléments différents, et nous y revêtons une autre enveloppe, plus parfaite ou plus imparfaite, suivant le milieu où ils doivent agir. Mais toujours est-il certain que ces corps vivent, animés tous par le même souffle de Dieu ; que la transmission des âmes se fait, dans les unes comme dans les autres des planètes sans nombre qui peuplent l'espace infini, et qu'étant l'émanation même de Dieu, elles existent identiquement les mêmes dans tous les mondes. De l'autre côté de la vie, il nous rend une âme toujours purifiée, qui nous permet de nous rapprocher incessamment du ciel ; notre volonté seule la fait dévier parfois du droit chemin.
- Pourtant, Paul, on nous enseigne que nous ressusciterons avec nos corps d'aujourd'hui !
- Folie et orgueil que tout cela ! Nos corps ne sont pas à nous, mais à tout le monde, aux êtres que nous avons dévorés hier, à ceux qui nous dévoreront demain. Ils sont d'un jour ; la terre nous les prête, elle nous les reprendra. Notre âme seule nous appartient ; elle seule est éternelle, comme tout ce qui vient de Dieu et y retourne. 

Texte tiré de la revue spirite de 1867